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Miniaturisation pour la Synthèse, l’Analyse et la Protéomique (MSAP) UAR 3290

Identification d’espèces fossiles grâce à l’analyse paléoprotéomique des ossements : 1 milligramme suffit !

Les fouilles archéologiques livrent de multiples fragments d’os non identifiables. La paléoprotéomique permet de déterminer l’animal correspondant, mais la quantité d’os nécessaire reste souvent trop élevée. Notre étude publiée dans Analytical chemistry a montré que l’utilisation de spectrométrie de masse haute résolution et l’optimisation de la préparation des échantillons permet de diminuer la quantité d’os extraite. Cette méthode a été appliquée avec succès sur le site paléolithique de Caours (Somme) contemporain du dernier Interglaciaire et daté de 123 000 ans.

Depuis de nombreuses années, l’étude des biomolécules anciennes comme les protéines (protéomique) a permis d’ouvrir une fenêtre sur le passé biologique et significativement modifié notre compréhension de l’évolution. La protéomique s’est imposée pour l’étude des fossiles et représente actuellement une alternative à l’analyse de l’ADN qui, sous réserve qu’il soit conservé dans les échantillons anciens, est limitée par son amplification et les risques de contamination, mais également sa dégradation dans le temps. L’une des limites de l’analyse des fossiles est la nécessité de réduire au maximum la quantité de matériel afin d’éviter d’endommager les échantillons. Par ailleurs, pour les espèces éteintes et l’absence de séquençage de l’ADN de ces animaux, il apparait très difficile de pouvoir arriver à identifier l’espèce. Le développement d’une méthode protéomique basée sur le collagène intra-osseux, afin de répondre aux questions posées par l’identification des taxons sur la base de quantités extrêmement faibles et d’espèces éteintes, est donc un défi.

Notre corpus est constitué d’une centaine de fragments d’ossements provenant du site de Caours dans la Somme, fouillé depuis 2003 par une équipe pluridisciplinaire incluant deux unités du CNRS (UMR 8198 et 8591) et l’INRAP. Il s’agit d’un site ou Néandertal a vécu il y a environ 123 000 ans, lors de l’optimum climatique de la dernière période interglaciaire. Pour chaque os, un milligramme de matière a été traité en plaque de 96 puits pour permettre une analyse haut débit. La poudre d’os a été déminéralisée avec une solution de TFA, lavée et digérée avec une enzyme. Ensuite, les peptides ont été purifiés sur une séparation C18 à 96 puits et analysés sur les spectromètres de masse MALDI FT-ICR MS et la nanoLC-MS/MS Orbitrap de l’unité MSAP qui est un site des infrastructures Infranalytics (FR-2054) et IBiSA.

Notre méthode de paléoprotéomique par MALDI FTICR MS à haut débit a permis d’identifier des taxons à partir de l’analyse d’1 mg d’os avec une corrélation de 96% par rapport aux assignations morphologiques paléontologiques. Un taux de réussite global de 93% a été atteint par l’analyse MALDI FTICR MS, 55% des ossements n’étant pas identifiés par l’ostéomorphologie. Parmi ces 55 % d’ossements inconnus, 91% ont pu être identifiés par l’analyse MALDI FTICR MS. La dégradation des os anciens peut aussi fournir des informations grâce à la présence de modifications post-traductionnelles, telles que la déamidation de la glutamine qui se traduit par un décalage de masse. Actuellement, le MALDI TOF, qui est classiquement utilisé en paléoprotéomique, ne permet pas de détecter cette différence de masse de quelques dizaines d’unités de millième de masse. La moyenne de la déamidation pour le site de Caours par MALDI-FTICR était de 44,3 %, ce qui confirme l’ancienneté des ossements et l’efficacité de la méthode pour une période où l’ADN est rarement préservé.

La méthodologie décrite dans ce travail montre une grande convergence en termes de résultats avec le corpus des espèces animales attendues. Cela permet d’éviter un prélèvement trop intrusif d’os lors de l’échantillonnage. Cette sensibilité améliorée permet d’identifier également les espèces à partir d’os brûlés. La mise en œuvre d’une plaque à 96 puits pour la digestion et la purification permet un traitement à haut débit des échantillons et donc la prise en compte de très nombreux ossements, atteignant quelques centaines par semaine. Notre nouvelle méthodologie répond aux besoins des archéologues, des paléontologues ou des conservateurs qui exigent des méthodes nécessitant de très petites quantités de matière et pouvant être appliquées simultanément à un grand nombre d’échantillons différents.

Référence publication : Bray F, Fabrizi I, Flament S, Locht JL, Antoine P, Auguste P, Rolando C. Robust High-Throughput Proteomics Identification and Deamidation Quantitation of Extinct Species up to Pleistocene with Ultrahigh-Resolution MALDI-FTICR Mass Spectrometry. Anal Chem. 2023 May 16;95(19):7422-7432. doi: 10.1021/acs.analchem.2c03301. Epub 2023 May 2. PMID: 37130053.

Ce projet a été rendus possible par un financement Région Hauts-de-France ProtéOsHdF « Étude de la faune éteinte de la Région Hauts-de-France et de son évolution par une approche pluridisciplinaire innovante alliant paléontologie, protéomique à haut débit et bioinformatique », qui a permis de développer les recherches de paléoprotéomique sur le site de Caours, les projets Européens EU Horizon 2020 EU_FTICR _MS « European Network of Fourier-Transform Ion-Cyclotron-Resonance Mass Spectrometry Centers » (Grant Agreement 731077) et IPERION HS « Integrating Platforms for the European Research Infrastructure ON Heritage Science » (Grant Agreement 871034) pour les extensions européennes de ces analyses.

Cet article a fait l’objet d’une brève dans Chemical & Engineering News, la newsletter de l’American Chemical Society.

Fig 1: Petits fragments de diaphyses d’os longs indéterminables fracturés par les Néandertaliens de Caours (Somme) il y a 123 000 ans (crédit photo P. Auguste).
Fig. 2 : Une plaque de 96 puits contenant les échantillons osseux à analyser (crédit photo F. Bray).

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